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L'interview exclusive de Carles Puigdemont, le président du gouvernement de Catalogne

Le président du gouvernement de Catalogne, Carles Puigdemont, vient de passer 24 heures dans notre région. Après avoir rencontré la présidente d'Occitanie Carole Delga, à Narbonne dimanche, avec laquelle il a signé une lettre d'intention pour de nouveaux accords, il était aujourd'hui à Toulouse. Il y a été reçu par le maire de la ville ce matin, les représentants du Medef à midi, avant d'être accueilli au siège de La Dépêche du Midi, pour une interview balayant l'ensemble des sujets qui font son actualité: le processus d'indépendance, pour lequel il compte organiser un référendum d'ici septembre, contre l'avis de Madrid, les poursuites judiciaires que l'Etat espagnol a entrepris à l'encontre des élus Catalans, mais aussi des sujets plus régionaux tels la ligne ferroviaire grande vitesse Toulouse-Montpellier-Barcelone, l'Eurorégion, ou les futurs contrats de partenariats entre nos deux régions.

- Vous avez présenté en septembre dernier une version clarifiée de votre feuille de route vers l’autodétermination de la Catalogne. Quelles en sont les étapes les plus importantes?

- La convocation d’un référendum pour cette année, au plus tard à la fin de septembre 2017, donne des garanties à la population catalane qu’elle pourra s‘exprimer de façon normale, en liberté, sur une question claire avec une réponse simple, oui ou non à propos des rapports entre l’Espagne et la Catalogne.

- Ce référendum étant unilatéral, quelles seront pour vous les conditions de sa validité, s’il n’est reconnu ni par l’Espagne, ni par l’Union européenne?

- Ce qui est unilatéral chez nous, c’est le refus de l’Etat espagnol à dialoguer avec la Catalogne sur ces sujets. Ils se sont fermés de façon unilatérale, ils ne veulent pas parler avec nous. Deuxièmement, on essaye de s’accorder avec l’Etat pour voir comment le référendum peut se dérouler. Il y a un accord du parlement qui est valable, qui demande au gouvernement catalan de faire tout son possible pour s’accorder avec l’Etat sur l’organisation de ce référendum. J’espère que finalement l’Etat espagnol va accepter la réalité évidente.
- Madrid pourrait envisager des mesures coercitives pour empêcher le vote. Comment répondez-vous à ces menaces?

- Vous savez que l’ancien président a été poursuivi en justice pour avoir organisé une consultation non contraignante sur l’indépendance de la Catalogne. Il risque d’être interdit de pouvoir exercer des fonctions publiques durant dix ans. Moi-même je suis averti à trois reprises, et peut-être une 4e cette semaine. L’Espagne s’est dangereusement habitué aux mesures exceptionnelles, au-delà de la démocratie. C’est une guerre sale qu’une partie de l’Etat mène contre la Catalogne. Je ne crains pas un recours à la force, je suis Européen, démocrate, et j’espère que l’Espagne aura une attitude démocratique et de dialogue. La judiciarisation de la politique ne sert à rien pour résoudre un conflit.

- La présidente du parlement catalan, Carme Forcadell, est aussi sous le coup d’une enquête de la justice pour avoir fait voter le parlement sur le sujet de l’unilatéralité…

- Qu’est-ce qu’on dit là? Le parlement ne pourrait pas débattre? La présidente du parlement est-elle une délinquante lorsqu’elle permet le débat démocratique, où y a-t-il des sujets dont on ne peut pas parler. Et si c’est donc le cas, peut-on alors parler de démocratie?! C’est un scandale que la présidente du parlement doive faire face à la justice avec un risque de sentence pénale pour avoir permis le débat d’une conclusion d’une commission d’étude.

- Que répondez-vous à ceux qui accusent les indépendantistes de diviser la société catalane?

- C’est trop simple. En France le débat de la présidentielle, il divise ou il rassemble? On ne doit pas avoir peur de la différence, c’est consubstantiel de la démocratie. La différence fait partie de la société. Les sociétés démocratiques sont plurielles. Il y a des débats profonds qu’il faut trancher par référendum. On ne doit pas avoir peur de ce débat s’il est pacifique et respectueux. Tous les sondages disent que 80 % de la population veut régler la question avec un référendum. Il n’y a donc aucune division sur cette question.

- Aujourd’hui les sondages donnent partisans et opposants de l’indépendance au coude-à-coude. Au-delà du oui ou du non, l’enjeu est-il sur la participation?

- La participation rend un référendum valable. Je suis d’accord pour négocier avec l’Etat espagnol sur la date, de la question posée – uniquement l’indépendance ou un nouveau statut que l’Etat offrirai –, du quorum pour décider quel est le score valable pour appliquer le résultat du référendum – peut-être voudraient-ils plus de 50 % des voix–, quel moratoire appliquer pour un nouveau référendum… La discussion est la voix privilégiée, mais on est assis à la table depuis 6, 7 années, et à l’autre bout de la table il n’y a personne. On peut aussi faire sans l’accord de Madrid s’il le faut.

- Si le oui l’emporte en septembre 2017, proclamez-vous l’indépendance immédiatement après le vote?

- Il n’y a pas de boutons pour proclamer l’indépendance immédiatement. On est convaincu qu’il y aura une transition juridique, et il faudra s’accorder avec l’Europe. On invitera donc l’Etat espagnol et l’Europe pour voir dans quels termes l’Etat catalan existera dans l’Europe.

- N’êtes-vous pas un peu seul sur la scène internationale?

- Je n’ai demandé à personne de me recevoir. Donc on ne peut pas dire que je suis seul. C’est le temps de la connaissance, pas de la reconnaissance. Beaucoup de gens sont intéressés par ce qu’il se passe en Catalogne, et regardent, viennent voir à Barcelone.

- Au Parlement européen vous avez prôné la révolution catalane tranquille. Qu’est-ce que ça veut dire?

- La Catalogne n’a jamais utilisé la violence. La revendication catalane a toujours été pacifiste et accueillante. Ça exprime le succès de la revendication catalane. Nous sommes une société conviviale, pacifiste et profondément démocratique. Les lois doivent servir aux personnes.

- Dans la mesure où vous accéderiez à l’indépendance, reprendriez-vous la dette espagnole?

- Tout dépend de l’Espagne. Si elle nous l’accorde, bien sûr on doit être co-responsable de la dette. Il faudra parler de quelle quantité. Mais on ne payera pas de dette du royaume d’Espagne s’il n’y a pas d’accord bien sûr. Mais on est aussi prêt à continuer à contribuer au développement des régions les plus pauvres d’Espagne. Nous ne sommes pas anti-Espagnols. Au contraire.

- Vous venez de rencontrer la présidente d’Occitanie Carole Delga, le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc et les responsables régionaux du Medef. Qu’en retenez-vous?

- Il y a l’intérêt, que je savais déjà, de maintenir et améliorer la coopération transfrontalière dans différents domaines. La région Occitanie et la Catalogne sont deux entités énormément puissantes au centre de l’Europe, si l’on parle de l’industrie, des universités, des centres de recherche, du tourisme, etc. On voit qu’il y a ici une partie importante du PIB européen concentré dans cet axe Montpellier-Toulouse-Barcelone. Notre concitoyen parle d’une seule voix sur tous ces sujets, nos institutions doivent le faire aussi.

- La ligne de train à grande vitesse LGV entre ces trois villes est l’un des points essentiels de collaboration pour vous?

- C’est le sujet sur lequel il y a le plus d’urgence et où on est le plus d’accord. Sur la connexion Valence-Barcelone il y a une partie où il y a une seule voie, qui doit être modernisée. De l’autre côté il y a cette partie entre Montpellier et Perpignan où je suis ravi d’entendre de la présidente Delga que Montpellier Béziers va cheminer plus rapide. C’est un morceau qui doit être terminé. Car si on ne peut pas connecter nos usines, on perd des opportunités. Il y a des fortes demandes des usines de Barcelone, Taragone, Valence, pour être connectées. Il y a aussi le port de Barcelone, qui reçoit les marchandises de la Chine, qui doit être connecté au réseau international. C’est inacceptable qu’il ne le soit pas, c’est absurde.

- Quel avenir pour l’Eurorégion, si la Catalogne devient indépendante?

- Un devenir exceptionnellement bon. Car la Catalogne Etat indépendant aura des outils qu’elle n’a pas aujourd’hui pour mener cette politique eurorégionale dont on est très proches. Les résultats seront très positifs pour tous.

- Comptez-vous développer d’autres liens économiques avec l’Occitanie, à l’image du port sec de Barcelone implanté à Eurocentre (31) il y a 10 ans?

- La lettre d’intention signée avec la présidente Delga dimanche va aboutir à un accord pour renouveler ceux qui existaient avec les deux régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. On va les unifier, les bonifier et les élargir. On a parlé de la quatrième révolution industrielle, celle de l’intelligence artificielle, des données, la connexion entre les machines, l’automatisation… Barcelone est très bien placée sur ces questions. Dans l’avenir, les enfants qui sont aujourd’hui à l’école maternelle, quand ils auront terminé leur parcours universitaire, 80 % des métiers qui leurs seront proposés n’existent pas aujourd’hui. On doit travailler là-dessus. La conduite autonome, les drones, l’IA, vont détruire des emplois et en créer de nouveaux. On doit préparer nos jeunes, et on a l’espoir en Catalogne d’être à l’avant-garde, comme pour les précédentes révolutions industrielles.

- Les Catalans français, notamment dans les Pyrénées-Orientales, ont une volonté d’indépendance. Pourraient-ils voter pour votre référendum?

- Non, on doit être clair sur ce sujet. La Generalitat respecte que le gouvernement français fait de son organisation territoriale. Je remercie beaucoup la neutralité de la présidente Delga sur notre débat. Rassurez-vous, il n’y a aucune prétention territoriale sur les Pyrénées-Orientales !

- Occitanie et Catalogne partagent une vision de solidarité pour l’accueil des réfugiés. Sur ce point aussi c’est une différence avec le pouvoir central…

- Je ne pourrai vous dire pour le côté français, mais on est préoccupé de l’incapacité de la politique espagnole à faire face à ces compromis européens d’accueillir des réfugiés. La Catalogne est préparée pour accueillir 4 000 réfugiés, il y a un consensus. Mais les financements appartiennent à l’Etat, et il ne fait rien. On veut mais on ne peut pas les accueillir, c’est absurde.

- Vous êtes Catalans, mais vous êtes un Européen convaincu !

- Oui, parce que je suis Catalan ! La Catalogne est fondatrice de l’Europe en tant que civilisation, en tant qu’idée de fraternité, de paix. C’est cette Europe qui mérite la peine de se battre, celle imaginée après la seconde guerre mondiale. C’est mon Europe. Le Brexit, c’est une mauvaise nouvelle, c’est un certain échec de l’Europe. Elle devrait s’interroger pour savoir ce qu’elle a fait de mauvais pour qu’existe cette distance entre elle et les citoyens. La réalité d’aujourd’hui est préoccupante, que ce soit le Brexit ou la montée des populismes en Europe.

- Les grandes dates de la Catalogne.

145 av J-C: le territoire de l’actuelle Catalogne passe de la domination carthaginoise à la domination romaine.

718: la Catalogne passe sous le contrôle musulman, une province d’Al Andaluz.

801: conquête de Charlemagne.

1137: Le Comte de Barcelone épouse l’héritière du Royaume d’Aragon.

1479: les rois catholiques Ferdinand et Isabelle scellent l’union entre les couronnes de Castille et d’Aragon, dont dépendait la Catalogne.

1714: pendant la guerre de succession pour le trône d’Espagne, Barcelone est assiégée par les troupes franco-espagnoles et perd ses institutions autonomes.

1932: sous la IIe République espagnole proclamée par un Front populaire, un statut d’autonomie de la Catalogne est voté par le parlement espagnol. Le castillan et le catalan y ont à égalité le statut de langue officielle.

1939: prise de Barcelone par les troupes de Franco.

1979: les Catalans approuvent par référendum leur nouveau statut d’autonomie régionale.

9 novembre 2014: la Catalogne défie Madrid en organisant un référendum sur l’indépendance.

- Biographie de Carles Puigdemont.

1962: naissance à Amer (Catalogne)

1982: débute comme correcteur puis devient rédacteur en chef du journal El Punt.

1983: militant du parti Convergence Démocratique de Catalogne.

1999-2002: directeur de l'Agence catalane d'informations (ACN) et de la revue anglophone Catalonia Today.

2002-2004: directeur de la Maison de la Culture de Gérone.

2006: Député de Gérone au parlement de Catalogne.

2007-2011: Conseilleur municipal de Gérone.

2011-2016: Maire de Gérone.

2016: président de la Généralité de Catalogne.

(Olivier Auradou, Serge Bardy, La Dépêche)